The contract as a social institution. The notion of contractual solidarity in Emile Durkheim
Le contrat comme institution sociale. La notion de solidarité contractuelle chez Émile Durkheim
Abstract
L’article étudie la conceptualisation que Durkheim propose du contrat privé comme institution sociale et la recomposition qu’elle impose des rapports existant entre liberté contractuelle et réglementation sociale. Il s’arrête plus particulièrement sur ce que Durkheim nomme la « solidarité contractuelle » et sur le célèbre aphorisme qui la fonde « tout n’est pas contractuel dans le contrat ». À partir d’une confrontation avec la théorie du contrat libre défendue par Herbert Spencer, cet article dégage la critique anti-libérale que la théorie durkheimienne du contrat juste oppose à l’individualisme juridique et à la doctrine de l’autonomie de la volonté : loin de détenir analytiquement une force obligatoire, les volontés contractantes l’acquièrent synthétiquement par leur conformité à la réglementation sociale. Pour autant, le contrat juste de Durkheim n’est pas davantage reconductible à la théorie solidariste du contrat telle qu’elle est élaborée à la fin du XIXe siècle par Charles Renouvier et Léon Bourgeois et reprise à la fin du XXe siècle par Christophe Jamin. Cet article montre que la synthèse que Durkheim opère, sous la figure du contrat juste, entre liberté individuelle et réglementation sociale n’est pas, comme dans le solidarisme contractuel, sociale parce que morale, mais, à l’inverse, morale parce que sociale. Le contrat juste ne relève ni de l’oblitération libérale des fins sociales au profit des seuls intérêts individuels, ni de la conciliation solidariste des fins individuelles et des fins sociales dans le comportement moral volontairement adopté par l’individu. Il est une institution sociale qui répond à une fonctionnalité sociale, mais qui, en tant qu’il revêt une forme individuée (liberté du consentement, sentiment de sympathie humaine), permet tout autant aux individus d’agir.