Changements et variations quantifiables dans la langue française
Abstract
Un linguiste a l'oreille aux aguets. S'il se promène dans la campagne angevine qui nous entoure, il peut encore surprendre des tournures anciennes et patoisantes, même icitte (les québécois se retrouvent chez eux), même anuit, c'est à dire aujourd'hui. Au besoin Pierre Réseau , qui est comme moi un régional de l'étape, pourra lui servir d'interprète. Mais le linguiste entendra plus souvent, ici comme ailleurs, des mots nouveaux, que la mode et l'actualité introduisent comme une marée lente dans l'usage et que les dictionnaires finissent par officialiser si leur emploi perdure. La nouvelle édition du Larousse vient d'accepter, parmi les entrants, la séniorie belge (une seigneurie résidentielle pour personnes âgées) et la proposition québécoise clavarder (bavarder à l'aide du clavier) qui vaut assurément mieux que le chat anglais. Quel dommage que le Robert ait préféré dans sa nouvelle édition le mail anglais au courriel adopté avec raison par le Québec! Ces changements linguistiques sont pour une part inconscients. Emporté par le courant, on perd de vue la rive où les siècles déposent leurs alluvions et où les mots roulés par le flot finissent par s'échouer. L'attention se porte plus volontiers aux apports, aux affluents du fleuve, et souvent à l'invasion redoutée des anglicismes. La conscience est moins sensible aux pertes lexicales et par exemple les dictionnaires restent évasifs sur leurs abandons, auxquels ils doivent consentir pour ne pas gonfler démesurément le volume. S'il s'agit de rendre compte des mouvements du lexique, et de tenir le registre des acquis et des pertes, on pourrait prolonger l'étude faite en 1960 par Dubois pour la première moitié du 20e siècle. Mais pour cette enquête, nul n'est mieux placé que Jean Pruvost, qui doit prendre la parole dans un instant. C’est pourquoi je placerai mon observatoire non pas dans une bibliothèque, parmi les rayons des dictionnaires, mais au milieu des échanges linguistiques, au niveau des textes ou des communications.
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