Muller le lexicomaître
Abstract
Charles Muller, dont on fête ici le centenaire , est le fondateur d’une discipline connue sous le nom de statistique linguistique ou lexicométrie. Ses travaux ont servi de modèle à plusieurs générations qui ont puisé dans son manuel les formules à employer et les leçons à suivre. Dans un domaine cependant, la voie tracée par Muller n’a guère été suivie. Il est vrai que la démarche paraissait hardie il y a cinquante ans et, faute de moyens de calcul suffisants, le Maître en avait exposé le principe mais sans en proposer une application en grandeur réelle. Il s’agit du chapitre 6 de sa thèse qui est aussi le dernier chapitre de son manuel et qui porte le même nom : la « connexion lexicale ». Cette dénomination n’a pas résisté à une appellation plus proche de la tradition mathématique, qui fait appel à la distance. Il s’agit de la même notion, vue sous un angle opposé. La connexion lexicale qui lie deux textes est l’inverse de la distance intertextuelle qui les sépare.
On se propose d’expliciter le calcul de Muller, fondé sur les classes de fréquence et la loi binomiale, et de comparer sa méthode à d’autres approches dont celle de Jaccard et de Labbé. On montrera en particulier qu’elle permet de différencier l’influence stylistique des hautes fréquence et le poids générique ou thématique des basses fréquences. Et on l’appliquera au théâtre classique en donnant ainsi à la thèse même de Muller un prolongement qu’il avait laissé en suspens à l’époque faute de moyens.
Or l’examen statistique, s’il est pratiqué de bonne foi et avec de bons outils, comme la connexion lexicale de Muller, s’inscrit en faux contre la thèse de Pierre Louÿs, bien mal épaulée par Labbé. Au reste dans ces questions historiques, si la statistique peut fournir des indices et même des présomptions, elle ne peut produire des preuves au même titre que la philologie et l’histoire littéraire. Muller il y a quarante ans avait prévu et prévenu ces imprudences dans la conclusion prémonitoire de sa thèse : « Nous avions déclaré d’emblée que cette œuvre ne pose pas de problèmes philologiques importants, et que notre étude ne promettait ni révélations ni solutions inédites. Ne serait-elle pas de nature, plutôt, à mettre en garde ceux qui, en l’absence de renseignements historiques, attendent de la statistique lexicale des certitudes en matière de datation et d’attribution ? »
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