index - Revue de linguistique latine du centre Ernout N°23 Accéder directement au contenu

Dir. M. Fruyt, A. Ollivier, J.P. Brachet

Présentation

 

Ce numéro 23 contient en premier lieu un article de Christian Touratier (posthume et inédit) suivi d’un article sur l’œuvre de Christian Touratier et la manière il a appliqué au latin les principes de la linguistique générale (M. Fruyt).

La seconde partie intitulée « Initiation à la sémantique latine » informe sur certains aspects de la sémantique dans le domaine de la langue latine. Elle présente, de manière synthétique, les points de vue de l’analyse sémique (J.-F. Thomas) ainsi que les textes fondateurs qui l’ont initiée (C. Moussy). Elle illustre également, à l’aide d’exemples empruntés au latin, la notion générale de lacune lexicale, qui concerne de nombreuses langues (A. Martin-Rodriguez).

On trouvera ci-dessous dans cette Présentation, après le Sommaire, des textes d'actualité fondamentaux pour notre discipline : les éloges funèbres d'Huguette Fugier et de Christian Touratier, qui ont apporté tant de choses à la linguistique latine pendant quatre décennies.


Sommaire

 

Présentation

 

Christian Touratier : « Notions fondamentales de linguistique latine »

 

Michèle Fruyt : « La conception lexicale de C. Touratier dans le cadre de ses travaux »

 

Initiation à la sémantique latine

 

Jean-François Thomas : « Introduction aux études sémantiques dans le cadre de l’analyse sémique. Questions de méthode »

 

Jean-François Thomas : « Sur les écarts de sens et les formes de polysémie en latin »

 

Claude Moussy : « Le sémème : quatre textes fondateurs »

 

Antonio Martin-Rodriguez : « La notion de lacune lexicale en latin »

 

 

L’actualité nous oblige, malheureusement, à annoncer le décès de deux éminents spécialistes de linguistique latine en 2022 : Christian Touratier en mai et Huguette Fugier en juillet. Nous rappelons ci-dessous le rôle important qu’ils ont joué dans le développement de la linguistique latine durant les dernières décennies.

Pour honorer la mémoire de C. Touratier, après l’article (M. Fruyt) sur sa démarche de linguistique générale et de linguistique latine, nous rappelons ses travaux.

 

 

Huguette FUGIER

(1926-2022)

 

Huguette Fugier est décédée à 96 ans après une brillante carrière de latiniste et de linguiste. Elle réussit l’Agrégation de Grammaire en 1949 après des études secondaires et supérieures à Lyon (où son père était Professeur d’Histoire contemporaine à la Faculté des Lettres). Après deux années comme professeur agrégé au Lycée de Mâcon, sa carrière universitaire commence en 1951 à l’Université de Grenoble où elle est nommée Assistante de latin et de grec. Elle passe à l’Université de Strasbourg en 1956 comme Chargée d’Enseignement, puis Maître de Conférences. Elle y est élue Professeur de latin en 1964. En 1967-1968 elle occupe la fonction de Doyen de l’École de Lettres à Abidjan (Côte d’Ivoire), où elle enseigne la linguistique française et la linguistique générale. En 1984, elle devient Professeur de linguistique générale à Strasbourg.

Huguette Fugier était reconnue au plan international comme une référence scientifique dans le domaine de la syntaxe latine. Sa notoriété fut notamment établie par les colloques internationaux de linguistique latine, auxquels elle fit régulièrement des communications remarquées par leur présentation et leur contenu solide et approfondi.

Sa vocation de linguistique générale la poussa vers d’autres langues que le latin et elle devint une spécialiste du malgache au point de rédiger une grammaire de cette langue. Elle noua des liens avec des étudiants malgaches et fut invitée à plusieurs reprises à faire des cours à Madagascar.

Lorsque nous la rencontrions aux sessions d’Aussois (de linguistique latine et grecque organisées par l’ENS-Ulm et Paris III) ou dans les colloques de Linguistique latine, elle montrait toujours une grande gentillesse et aimait aider ses jeunes collègues en leur donnant des conseils pour leur carrière. Avec Huguette Fugier, nous avons perdu à la fois une très aimable collègue et un savant qui était un pilier de notre discipline de linguistique latine en France.

Michèle FRUYT

 

 

J’ai rencontré Huguette Fugier à Amsterdam, en 1981, lors du premier Colloque international de Linguistique latine, organisé par M. Bolkestein et H. Pinkster. Elle possédait la naïveté joyeuse des purs esprits. L’ambiguïté, les mensonges, les méchancetés, elle en ignorait leur existence. D’une rigueur morale adamantine, Huguette possédait inné le sens de la justice, des droits de l’homme, ce qui l’a amenée à devenir le responsable, pour l’Est de la France, d’Amnesty International pour une longue période. Ces mêmes valeurs humaines sont à la source de l’adoption de son fils algérien tant aimé, Lionel, et, à la mort douloureuse de celui-ci, de Laure, une jeune fille malgache qui a fait ses études universitaires à Strasbourg en obtenant une thèse, et qui est restée fidèlement près d’elle jusqu’à la fin. Huguette la considérait comme « sa fille unique ».

En héritage, Huguette nous laisse sa joie de vivre, son courage de repartir, sa vitalité intellectuelle intacte malgré la prison de la maladie, son immense générosité. Aux collègues, elle laisse le témoignage d’une rigueur et d’un talent scientifique remarquables.

Elle naît comme latiniste : son livre sur le sacré (1963) et ses études sur le système des cas latins, sur le comparatif sont des bornes miliaires pour toute bibliographie du latin. Mais une fois devenue Professeur de Linguistique générale à Strasbourg, elle a répondu à l’impératif d’apprendre une langue exotique et de l’étudier en profondeur. Elle s’est ainsi rapprochée du malgache, et pas seulement comme langue d’étude. Elle s’est emparée de l’histoire et de l’esprit de ce peuple, jusqu’à recevoir un nom malgache, Veromanitra  « bambou parfumé ».

Huguette a contribué à changer ma vie en me faisant connaître le groupe de linguistes d’Aussois, un laboratoire scientifique de haut niveau, mais aussi un foyer d’amis fidèles. Elle savait encourager les jeunes. Elle m’a poussée à présenter ma candidature à un poste de Professeur en France au nom de l’Europe, à laquelle elle croyait avec ferveur. D’une modernité sans pareil, à l’âge de 96 ans, elle s’intéressait à l’écologie, pleine d’espoir et de projets pour le monde futur. Huguette n’a jamais perdu le courage de cultiver la curiosité intellectuelle. Elle se passionnait pour d’autres langues, en particulier le chinois, dont elle maîtrisait 3000 idéogrammes, mais aussi pour la philosophie allemande, qui occupa ses lectures jusqu’au dernier jour. Ce dernier salut, j’aurais voulu l’écrire à l’encre verte, sa préférée : Arrivederci, Ma Grand’ Amie, mille baci.

Anna ORLANDINI

 

 

 

Éléments bibliographiques d’Huguette FUGIER

(réunis par A. Orlandini)

 

Livres

-1963, Recherches sur l’expression du sacré dans la langue latine, Public. Fac. Lettres de Strasbourg (thèse), Fasc. 146.

-1999, Syntaxe malgache, Bibliothèque des Cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain, Louvain-la-Neuve.

-2009, Les constructions causatives en malgache, Bibliothèque des Cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain.

-2014, Manière de dire en malgache, hoy, hoe, hono en grammaire et en discours, Bibliothèque philosophique de Louvain, Peeters.

-2020, Comment la parole accède à l’espace public dans le royaume d’Imerina (Madagascar), Cahiers du Portique n.18, Strasbourg.

Articles

-1967, « Religion romaine et protestation », Archives de Sociologie des Religions n°24, 17-33.

-1972, « Le système latin des comparatifs et superlatifs », Revue des Études Latines 50, 272-294.

-1973, «L’apposition en latin », La Linguistique 9, 97-113.

-1974, « Y a-t-il des pronoms personnels en latin ? », Revue des Études Latines 52, 384-409.

-1985, « Le vocatif dans la phrase latine », in : C. Touratier (éd.), Syntaxe et latin. Actes du IIe Congrès international de Linguistique latine (Aix-en-Provence, 28-31 Mars 1983), Aix-en-Provence, Public. de l'Université de Provence, 105-118.

-1989, « La temporalisation de l’énoncé en latin », in : M. Lavency & D. Longrée (éds.), Actes du Ve Colloque internat.  de Linguistique latine (Louvain-la-Neuve/Borzée, 31 mars-4 avril 1989), Cahiers de l’Institut de Linguistique de Louvain, Louvain-la-Neuve, 139-148.

-1994, « Le verbe latin ‘incorpore’-t-il ses compléments ? », in : J. Herman (ed.), Linguistic Studies on Latin, Amsterdam/New York, Benjamins, 75-90.

-1995, « La phrase-réplique négative dans le dialogue plautinien », in : D. Longrée (éd.), De usu. Études de syntaxe latine offertes en hommage à Marius Lavency, Louvain-La-Neuve, Peeters, 143-154.

-1998, « Les cas latins fonctionnent-ils en contre-emploi ? », in : B. García-Hernández (ed.), Estudios de Lingüística Latina. III. Lexicología y Semántica. Actas del IXe Coloquio de Lingüística Latina, Madrid, Ediciones Clásicas, 343-362.

-2001, « Le génitif adverbal dans la syntaxe latine », in C. Moussy (dir.), De lingua Latina nouae quaestiones. Actes du Xe Colloque international de Linguistique latine (Paris-Sèvres, 19-23 avril 1999), 339-354, Louvain/Paris, Peeters.

-2002, « Transitivités et transitivisations en syntaxe latine », in : L. Sawicki & D. Shalev (eds.), Orbis 18. Donum Grammaticum. Studies in Latin and Celtic Linguistics in Honour of Hannah Rosén, Louvain/Paris, Peeters, 133-140.

-2010, « Malgache dia ou l’histoire d’un anaphorique qui devint connecteur », in : Choi-Jonin, I., Duval, M. & Soutet, O. (eds.), Typologie et comparatisme. Hommages offerts à Alain Lemaréchal, Leuven, Peeters, Orbis/Supplementa 28,167-180.

 

 

Christian TOURATIER

(1937-2022)

 

Christian Touratier fut le principal représentant de la linguistique latine en France depuis les années 1970. On peut même dire qu’il créa la linguistique latine puisqu’il fut parmi les tout premiers, dès les années 1960, à appliquer au latin les principes et méthodes de la linguistique générale. Il appartenait à l’époque au cercle de Jean Perrot, son directeur de thèse, et à celui d’André Martinet.

Ses travaux portèrent au début surtout sur la syntaxe latine et la syntaxe générale, avec sa thèse sur la proposition relative en latin et dans d’autres langues, et il fut plus tard (1994) l’auteur d’une Syntaxe latine qui fait autorité. Mais il était aussi parfaitement compétent dans les autres domaines de la linguistique générale, en phonologie, morphématique, sémantique, comme le montrent ses ouvrages. Les latinistes bénéficiaient de cette science linguistique, qu’il était toujours prêt à partager et à appliquer au latin pour répondre à toutes nos questions sur la manière dont il convenait d’interpréter tel principe linguistique et comment on pouvait l’illustrer en latin.

Non seulement Christian Touratier était ainsi la tête de file de nos études de linguistique latine, mais il eut la grande gentillesse de participer fidèlement aux réunions, ateliers, colloques du centre Alfred Ernout (Université de Paris 4, puis Université de Paris-Sorbonne, puis Sorbonne-Université). C’est en grande partie grâce à lui et à sa notoriété scientifique que le centre A. Ernout a pu obtenir la création d’un GDR du CNRS au début des années 2000, puis un projet d’ANR au début des années 2010. Il nous a toujours témoigné son soutien scientifique et moral et nous lui sommes infiniment reconnaissants d’avoir été ainsi le pilier de nos activités de recherche. Les collègues qui l’ont bien connu dans ces réunions se souviennent de sa compétence et de sa générosité.

La carrière de Christian Touratier était toute tracée. Né en 1937 à Saumur, il fait une licence de lettres classiques à la Sorbonne et obtient l’Agrégation de Grammaire en 1963. L’année suivante, durant son service militaire, il est remarqué pour ses compétences linguistiques par un général qui, voulant qu’il soit le professeur de sa fille, le fait nommer au Lycée international de Saint-Germain-en-Laye (section allemand). On lit sur son premier rapport d’inspection que ce jeune professeur manifeste une « éloquence animée, chaleureuse et convaincante ».

Il est rapidement élu Assistant de latin à la Sorbonne (1968) et devient membre de plusieurs sociétés savantes : Société de Linguistique de Paris, Linguistic Society of America, Société des Etudes latines (dont il est le trésorier). Parallèlement à son enseignement de latin à Paris 4, il est chargé de cours de linguistique générale à Paris 3, 5 et 7 de 1970 à 1978. Inscrit sur les listes d’aptitude dans deux sections du CNU, la 11e des langues anciennes et la 16e de la linguistique générale, il fonctionne en grammaire française et en latin au jury du CAPES de Lettres modernes. La linguistique française assurera, entre autres, sa notoriété.

Devenu Maître-assistant à l’Université de Paris-Sorbonne en 1974, il soutient sa thèse d’Etat sur la proposition relative en latin et dans d’autres langues en 1976. Immédiatement élu à l’Université de Provence en 1977 comme Maître de Conférences de linguistique avec l’appui du sémanticien Georges Mounin, il lui succède en 1983 comme Professeur de linguistique. Il y dirige pendant 10 ans le Département de linguistique, occupe les fonctions de Vice-Président de l’Université et de Doyen de la Faculté des Lettres. Il est vice-président fondateur du Cercle linguistique d’Aix-en-Provence, auquel il participe activement et dont il publie plusieurs volumes des Travaux. A ses nombreux domaines de compétence, il ajoute l’informatique comme responsable de l’Equipe de Recherche LTAT (Laboratoire de traitement automatique du Texte). Il participe à un programme de réflexion sur l’orthographe française et enseigne la linguistique française à Turku (Finlande) pendant l’été en 1983, 1985, 1987.

Il fait des communications à tous les colloques internationaux de linguistique latine depuis leur création en 1981 et il organise lui-même en 1983 à Aix-en-Provence le deuxième colloque, dont il publie les actes. Il est souvent invité à faire des conférences à l’étranger et en France en linguistique latine (1991 : Louvain, Liège, Budapest, Madrid ; 1994 Centre Ernout, Sorbonne) et en linguistique grecque (1993 Saint-Etienne, 1994 Nancy 2). Il fait plusieurs communications à la Société de Linguistique de Paris.

Cet hommage ne serait pas complet sans le rappel de ses publications (qu’on trouvera in fine dans l’article de M. Fruyt), dont on appréciera la richesse et l’étendue.

Michèle Fruyt

 

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